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Tribune « Je m’appelle Pierre … »

Paru dans Libération

par Pierre Bonneyrat, Journaliste, bénévole pour l’association Marion La Main Tendue, ancienne victime du harcèlement scolaire

Je m’appelle Pierre, et dans quelques jours, j’aurai 32 ans. Pourtant, quand je me regarde dans une glace, j’ai l’impression d’en avoir toujours 13.

J’ai une licence pro de journalisme, mais quand je suis en soirée avec des gens que je ne connais pas, j’ai l’impression de me retrouver dans la cour de récréation du collège Françoise-Dolto de Marly-la-Ville, dans le Val-d’Oise.

Quand je suis au bureau, j’ai l’impression d’être à nouveau dans une salle de classe. J’aurai donc bientôt 32 ans, et j’ai parfois le sentiment de ne pas avoir évolué depuis mon adolescence. Quand j’entends mon nom de famille, Bonneyrat, j’entends encore les insultes qui trop souvent allaient avec. Ce n’est pas le journaliste qui vous parle ici, c’est l’ado que j’ai été, et l’homme que je suis. Car pendant toute ma scolarité, j’ai été victime de harcèlement scolaire. Avec un pic au collège, comme dans une grande partie des cas, mais en réalité toute cette histoire a démarré en petite section de maternelle, et s’est achevée en terminale.
Pendant dix-sept ans, j’ai subi au quotidien le regard des autres et les moqueries sur mon physique («grosse tête», «Bonneyrat tête de rat», «touche-moi pas t’es toxique», «tu vas me contaminer», «tu pues», «avec tes grandes oreilles tu captes le satellite ?»).
Il y a eu les vols de matériel scolaire, la trousse dans le trou des WC. Les gants, bonnets et écharpes que l’on s’amuse à lancer pour me voir courir après. Les vêtements à la mode que ma famille ne pouvait pas m’offrir. Les bonnes notes qui ont ensuite dégringolé et m’ont mené à l’échec scolaire. Les coups, parfois. La solitude, aussi, à force d’avoir le collège, qui est un monde à part entière, ligué contre moi. Je m’arrête ici, mais en y réfléchissant, je pourrais ajouter de nombreux points à cette liste déjà trop longue.
Des millions de victimes Imaginez un peu qu’un adolescent subisse tout cela et mettez-vous à sa place.
Rappelez-vous de votre propre adolescence. Pas encore un adulte, plus tout à fait un enfant ; un être humain pas encore complet, mais que l’on s’attelle déjà à démonter parcimonieusement, avec la plus grande des violences froides. Et pas à la clé de douze : à la boule de chantier, à la pelleteuse, puis au rouleau compresseur. Imaginez encore qu’un enfant subisse cela. Plus vulnérable, plus chétif, plus faible, seul au milieu d’une meute prête à le dévorer morceau par morceau. Et le plus souvent, les bergers ne s’aperçoivent même pas du danger au sein du troupeau.
A mon époque pas si lointaine, l’expression «harcèlement scolaire» n’existait pas. Il n’y avait pas de mots, pas de nom pour désigner ce virus parfois mortel.
Maintenant, nous sommes au courant de l’existence de ce qui ne peut plus être considéré comme un simple phénomène, mais qui relève d’un immense fléau, dont on peine à mesurer l’exacte étendue des dégâts, en France comme dans chaque pays du monde où l’on trouve des écoles.

Les choses ont changé, certes. Mais encore de nos jours, des enfants meurent car les écoles de la République n’ont pas su les protéger. Des familles entières sont bouleversées. D’anciens élèves, comme moi, tentent de vivre le plus normalement possible, avec toujours d’importantes conséquences sur leur vie, professionnelle comme intime.
Pendant trop longtemps, le traitement du harcèlement scolaire a été négligé, mis de côté faute de temps, d’argent, de choses plus importantes à traiter. Mais qu’y a-t-il de plus important que nos enfants ? Ils sont la vie, le fruit de l’amour, le futur et l’espoir. Et il y a encore trop de promesses non tenues, de lois promulguées parfois trop vite et mises au placard, de peines non appliquées, de spécialistes, de personnels et d’associatifs mis sur la touche.

Ecoutez-nous, monsieur Macron, entendez-nous.
Je m’appelle Pierre, mais je m’appelle aussi Marion.Je m’appelle Maël. Je m’appelle Lucas. Je m’appelle Lindsay. Je m’appelle Thibaut. Je m’appelle Hugo. Jem’appelle Jonathan. Je m’appelle Christopher. Je m’appelle Evaëlle. Je m’appelle Alisha. Je m’appelle Diane. Je m’appelle Farès. Je m’appelle Dinah. Chanel, Anna-Chloé, Diego, Corentin. Nous sommes des millions à avoir été victimes du harcèlement scolaire.
Pour nous. Pour eux. Arrêtez de communiquer. Agissez.

Pierre Bonneyrat

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